Analyse de la littérature par le Pr P. Bouchard - Mars 2011

 

Introduction

La pathogénicité du biofilm buccal dépend à la fois de sa composition en microorganismes pathogènes (cariogènes et parodontopathogènes) et de la capacité des défenses l’hôte à maintenir l’homéostasie, c’est-à-dire l’équilibre du système (Darveau 2010, Kolenbrander et al. 2010). Idéalement, la prévention et le traitement des maladies parodontales consisteraient à (1) identifier les parodontopathogènes pour les combattre électivement et (2) renforcer le système de défense d’un individu ou d’un groupe d’individus lorsqu’il s’avère spécifiquement défaillant. Ces moyens ne sont pas aujourd’hui disponibles en pratique courante. Il est néanmoins admis que l’accumulation de plaque bactérienne (aspect microbiologique quantitatif) favorise le développement d’un biofilm au sein duquel vont apparaître, croître et se développer des espèces pathogènes (aspect microbiologique qualitatif) ayant la capacité d’affecter le système de défense (aspect immunologique).

Chez l’adulte ne présentant pas de perturbation métabolique liée à un déséquilibre systémique, la prévention et le traitement des maladies parodontales (gingivites et parodontites) impliquent le contrôle de la charge bactérienne intra-buccale afin d’obtenir une écologie microbienne compatible avec la santé parodontale. Ce contrôle de plaque est réalisé au quotidien par le patient et, à l’occasion de visites régulières, par le chirurgien-dentiste traitant ou par le spécialiste en parodontologie pour les patients à risque parodontal élevé. Dans les deux cas, l’élimination de la plaque est prioritairement mécanique. Elle se pratique par un brossage individuel en ce qui concerne le patient et par des techniques de raclage ou de sidération du biofilm en ce qui concerne l’approche professionnelle. Les limites de l’élimination mécanique de la plaque, en particulier dans le contrôle de plaque par le patient (problèmes d’observance et de technicité), impliquent le plus souvent une action chimique complémentaire reposant sur des principes actifs contenus dans des solutions ou des dentifrices à usage quotidien.

La molécule de référence

 

La molécule de référence utilisée pour le contrôle chimique de la plaque bactérienne est un bis-biguanide cationique, la chlorhexidine (CHX), utilisé depuis les années cinquante. Sous forme de bain de bouche à concentration de 0.12% ou 0.20%, cet antiseptique est très efficace dans la réduction des indices de plaque. L’efficacité est due à un puissant effet antibactérien et à la rémanence ou substantivité de l’agent. L’effet « antiseptique » ne présente pas que des avantages car il perturbe l’équilibre écologique bactérien, le biofilm étant composé de complexes bactériens pathogènes et d’antagonistes Gram+ visant à combattre et neutraliser les premiers. L’utilisation de ces bains de bouche s’accompagne de colorations dentaires extrinsèques et d’effets secondaires divers tels que l’agueusie. Il a été démontré que ces effets secondaires entraînent une altération marquée de l’observance. Ces bains de bouche sont donc précieux mais leur utilisation doit être limitée à des périodes relativement courtes, professionnellement contrôlées.

 

Molécules de deuxième génération

 

Afin de parer aux inconvénients liés aux effets secondaires de la CHX et d’envisager un contrôle chimique préventif et régulier de la plaque bactérienne, d’autres molécules dites de deuxième génération ont été proposées (amonium quaternaire, fluorures, agent oxygénés, phénols). Ces molécules sont sensées posséder un potentiel antibactérien et une rémanence comparable à la CHX. Néanmoins, la perturbation de l’écologie bactérienne demeure.

 

Le delmopinol

 

Une troisième génération d’agents « anti-plaque » a été développée. Le mécanisme d’action ne repose plus ici uniquement sur l’effet antibactérien mais sur la capacité de la molécule à modifier la tension superficielle afin de retarder la reformation des biofilms. Le delmopinol, agent tensioactif à bas poids moléculaire (on parle aussi de « surfactant ») possédant un profil antibactérien très réduit, semble à cet effet présenter des propriétés intéressantes en tant qu’agent anti-plaque.

L’analyse bibliographique MEDLINE du delmopinol fait apparaître 38 articles originaux comprenant 18 études in vitro, 3 études in vivo de pharmacocinétique et 17 essais cliniques. Cinq essai cliniques non référencés MEDLINE mais publiés en interne à la société productrice du bain de bouche comptent parmi les 8 essais inclus dans une méta-analyse.

Dès 1991, le département biologie d’une société suédoise (Biosurface AB) s’est intéressé au mode d’action du delmopinol, tensioactif cationique, suggérant un effet inhibiteur sur la formation du biofilm par réduction de l’adhésion bactérienne. Ces travaux, s’étalant sur environ 7 années, suggèrent la pénétration de la molécule au sein du biofilm afin d’en perturber la cohésion. Ainsi, le delmopinol agirait à la fois sur la formation du biofilm et sur la cohésion bactérienne, via son action inhibitrice sur les glycosyltransférases, enzymes indispensables à la production des polysaccharides extracellulaires qui représentent le « ciment » de la plaque dentaire. Cliniquement, la reformation du biofilm serait retardée, l’élimination de la plaque serait facilitée lors du brossage et l’équilibre écologique bactérien serait préservé. Le bain de bouche est donc classé dispositif médical car son mode d’action initial est de créer une barrière physique plutôt que d’agir chimiquement.

Les études in vitro, émanant presque toutes de la société Biosurface AB, sont convaincantes. Restait à démontrer chez l’homme, l’efficacité du delmopinol versus placebo. Utilisé à une concentration de 0.2% dans une solution, il a fait l’objet d’essais cliniques comparatifs synthétisés lors d’une méta-analyse en 2007 (Addy et al. 2007). La méta-analyse était indépendante (non liée à un partenaire commercial) mais il est cependant à noter que l’analyse statistique et l’assistance éditoriale ne l’était pas. Huit études avec suivi de 2 à 6 mois, ont été sélectionnées. En résumé, le bain de bouche actif montre une réduction modeste mais significative de l’indice de plaque, du saignement au sondage et de l’indice gingival, que ce soit en analyse per protocole (exclusion des patients de l’analyse lorsque le protocole n’est pas respecté) ou en Intention de Traiter (analyse de tous les patients inclus dans l’essai quel que soit les écarts au protocole). Il est intéressant de noter que l’efficacité du bain de bouche est réelle que l’étude soit supervisée (contrôle professionnel de l’observance pendant l’étude) ou non et que le taux de reformation de la plaque n’affecte pas les résultats (Zee et al. 1997). Ainsi, ce produit pourrait constituer une aide efficace pour le contrôle de plaque en complément de l’élimination mécanique de la plaque bactérienne.

Aucune répercussion systémique n’a été décrite lors de l’utilisation du produit. En ce qui concerne les effets secondaires, on note principalement une sensation transitoire d’anesthésie de la langue.

Le bain de bouche a été approuvé en 2005 par la FDA pour le traitement de la gingivite liée à la plaque. Les études montrent une réduction de plus de 60% de la prévalence de la gingivite comparé à l’absence de traitement lorsque le produit est utilisé conformément aux instructions du fabricant, c’est-à-dire concomitamment à un brossage et à l’usage du fil dentaire régulier. En résumé, l’analyse d’une littérature relativement abondante sur le produit (une quarantaine d’articles originaux MEDLINE), fait apparaître :

- Une réduction des indices de plaque versus placebo

- Une réduction des indices de gingivite versus placebo

- Un mode d’action préservant l’écologie bactérienne

 

En conclusion, le delmopinol a fait l’objet de travaux de recherche in vitro et in vivo ayant donné lieu à des publications indexées. Des essais cliniques comparatifs ont montré la supériorité du bain de bouche au delmopinol 0.2% versus placebo. Il n’existe pas d’essais cliniques comparant le delmopinol aux agents antibactériens de deuxième génération. Les effets secondaires apparaissent limités comparés à ceux de la CHX mais ce bain de bouche ne peut constituer une alternative thérapeutique à celle-ci en raison de sa moindre efficacité antibactérienne. Son mécanisme d’action est séduisant car il a pour objet de limiter la reformation du biofilm et de diminuer sa cohésion tout en respectant l’équilibre microbiologique. Son utilisation à long terme pourrait donc constituer une aide à la prévention des maladies parodontales et à la maintenance de patients traités pour ces mêmes maladies.

 

Bibliographie

 

Addy M, Moran J, Newcombe RG. Meta-analyses of studies of 0.2% delmopinol mouth rinse as an adjunct to gingival health and plaque control measures. J Clin Periodontol. 2007 Jan;34(1):58-65.

Darveau RP. Periodontitis: a polymicrobial disruption of host homeostasis. Nat Rev Microbiol. 2010 Jun 1;8(7):481-490.

FDA Consumer magazine. New oral rinse helps treat gingivitis. 2005 Jul-Aug;39(4):5-6. Kolenbrander PE, Palmer RJ Jr, Periasamy S, Jakubovics NS. Oral multispecies biofilm development and the key role of cell-cell distance. Nat Rev Microbiol. 2010 Jun 1;8(7):471-480.

Zee K, Rundegren J, Attström R. Effect of delmopinol hydrochloride mouthrinse on plaque formation and gingivitis in "rapid" and "slow" plaque formers. J Clin Periodontol. 1997 Jul;24(7):486-91.

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